mardi 14 juin 2011

Plénitude




C’est le plaisir du corps et de l’esprit, c’est « une joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure » comme le dirait Spinoza. C’est un repos dans le désir, un repos dans le plaisir, l’absence de manque. C’est lorsqu’on se sent comblé et que l’on voudrait que cela dure ou que tout s’arrête. Dans ces moments, la mort peut bien venir, aucune importance…


Tour à tour un poète, un écrivain et un philosophe - une impressionnante proximité :


   
« C'est le repos éclairé, ni fièvre ni langueur, sur le lit ou sur le pré.
C'est l'ami ni ardent ni faible. L'ami.
C'est l'aimée ni tourmentante ni tourmentée. L'aimée.
L'air et le monde point cherchés. La vie. »

Arthur Rimbaud 



« Mais s'il est un état où l'âme trouve une assiette assez solide pour s'y reposer tout entière et rassembler là tout son être, sans avoir besoin de rappeler le passé ni d'enjamber sur l'avenir ; où le temps ne soit rien pour elle, où le présent dure toujours sans néanmoins marquer sa durée et sans aucune trace de succession, sans aucun autre sentiment de privation ni de jouissance, de plaisir ni de peine, de désir ni de crainte que celui seul de notre existence, et que ce sentiment seul puisse la remplir tout entière ; tant que cet état dure celui qui s'y trouve peut s'appeler heureux, non d'un bonheur imparfait, pauvre et relatif tel que celui qu'on trouve dans les plaisirs de la vie, mais d'un bonheur suffisant, parfait et plein, qui ne laisse dans l'âme aucun vide qu'elle sente le besoin de remplir. Tel est l'état où je me suis trouvé souvent à l'île de Saint-Pierre dans mes rêveries solitaires, soit couché dans mon bateau que je laissais dériver au gré de l'eau, soit assis sur les rives du lac agité, soit ailleurs au bord d'une belle rivière ou d'un ruisseau murmurant sur le gravier.
De quoi jouit-on dans une pareille situation ? De rien d'extérieur à soi, de rien sinon de soi-même et de sa propre existence, tant que cet état dure on se suffit à soi-même comme Dieu. Le sentiment de l'existence dépouillé de toute autre affection est par lui-même un sentiment précieux de contentement et de paix, qui suffirait seul pour rendre cette existence chère et douce à qui saurait écarter de soi toutes les impressions sensuelles et terrestres qui viennent sans cesse nous en distraire et en troubler ici-bas la douceur. Mais la plupart des hommes, agités de passions continuelles, connaissent peu cet état, et ne l'ayant goûté qu'imparfaitement durant peu d'instants n'en conservent qu'une idée obscure et confuse qui ne leur en fait pas sentir le charme. »

Jean-Jacques Rousseau



« Que le monde soit là m’a soudain paru incompréhensible, c’est ce que j’appelle le mystère. Il y avait la mise en suspension de toutes les questions, c’est ce que j’appelle l’évidence. La suspension du manque, du désir, c’est ce que j’appelle la plénitude. La suspension du langage, du discours car la plupart du temps nous sommes séparés du monde par nos interprétations. C’est ce que j’appelle le silence. La suspension du temps ou plutôt ce que nous prenons à tort pour le temps, c’est à dire le passé et l’avenir. Il n’y avait plus que le présent. Un présent qui reste le présent, c’est ce que j’appelle l’éternité. Et, par conséquent, la suspension de l’espoir et de la crainte, c’est ce que j’appelle la sérénité. » 


André Comte-Sponville